Quel lien peut-il exister entre ces grosses toiles en piteux état et du thé ? La réponse est simple, ces couvertures cachent des feuilles de thé. Ces toiles épaisses les recouvrent et les privent d’oxygène. A l’abri de la lumière et dans une atmosphère humide, le thé va pouvoir fermenter. Il s’agit de l’une des étapes cruciales de la fabrication des pu erh cuits. Tous les jours, on va contrôler la température des feuilles et aérer un peu si besoin, si le mercure monte trop. On va aussi arroser les feuilles plusieurs fois pendant les quarante jours environ que dure cette opération, avant de les recouvrir à nouveau aussitôt l’arrosage terminé. Les pu erh cuits développent à la tasse des notes de bois, de sous-bois, de cave, de terre humide, de paille, d’humus, de cuir, de réglisse, et cela m’amuse de constater que ces belles toiles aux tons brunâtres expriment la même émotion automnale que la palette olfactive des thés qu’elles couvent.
ARCHIVE DE septembre 2017
La tête dans les nuages
Les montagnes recouvertes de théiers montent si haut dans le ciel et les nuages tombent parfois si bas sur terre qu’il ne reste alors aucune place pour le ciel. Les nuages jouent à recouvrir de brume le tapis verdoyant des théiers, les enveloppent d’un voile de coton, les caressent, et puis s’en vont. Je pourrais rester des heures, dans chaque champ de thé que j’arpente, à contempler la beauté des paysages. Et plus je grimpe, plus je suis récompensé. Le thé ne pousse pas au-dessus de 2.000 ou 2.200 mètres mais à cette altitude-là on peut déjà s’offrir des vues à couper le souffle. Si la brume le veut bien.
Faire du thé plutôt que la guerre
J’ai fait la connaissance de Xuan Dong Wu cet été. Je l’ai rencontré dans l’usine de Ming De qu’il dirige et dans laquelle, ce jour-là, il surveillait le flétrissage de ses feuilles de thé comme le lait sur le feu. Xuan Dong Wu est amoureux de son travail. Pourtant il ne s’est pas toujours occupé de thé. Il a d’abord été militaire, il a fait la guerre sino-vietnamienne, au début des années 80. Puis il est revenu à son village natal et dans son village natal la culture du thé représente l’activité essentielle. Il produit des thés blancs, des pu erh ainsi que des thés noirs considérés comme les meilleurs du Yunnan. Il aime aussi innover et c’est à lui que l’on doit plusieurs de nos maocha, ces thés intermédiaires qui servent de base aux pu erh. Xuan Dong Wu est timide, il ne répond pas grand-chose lorsque je lui demande ce qu’il voudrait que je dise de lui ici. Il me parle de sa vie, toute simple, et qu’il aime. Il dit qu’il aime faire du thé avec son cœur et avec ses efforts, il dit qu’il veut faire de son mieux et produire les meilleurs thés possible. Et il replonge la main dans ses feuilles qui flétrissent pour ne plus les quitter des yeux.
Le roulage d’un mao cha
Le mao cha – thé brut à partir duquel on confectionne le pu erh – subit de plus en plus souvent l’épreuve du roulage. On dispose alors les feuilles tout juste flétries puis chauffées au wok dans une machine qui va les secouer de droite et de gauche, de façon rapide et régulière. Les feuilles de thé se cognent aux parois verticales et peu à peu leur forme s’en trouve modifiée. Elles s’enroulent légèrement sur elles-mêmes dans le sens de la longueur. Le roulage intervient dans la fabrication de la plupart des thés, il permet soit de donner une certaine forme aux feuilles, dans le cas des thés verts, par exemple, soit de briser les cellules et de libérer des composants aromatiques qui vont s’oxyder ou bien fermenter.