Dans les Pyrénées, sur les hauteurs d’Argelès-Gazost, Lucas fait figure de missionnaire. Diplôme d’ingénieur agronome en poche, il décide de revenir sur les terres familiales afin d’y introduire la culture du thé. Après avoir passé du temps avec des producteurs au Laos, en Indonésie, en Chine, au Népal, voilà notre pionnier aujourd’hui à la tête d’une toute jeune exploitation de plusieurs milliers de plants. Il surveille chacun d’entre eux comme le lait sur le feu, observe le développement de chaque cultivar, et manufacture déjà de délicieux crus qu’il prépare au gaiwan, cet ustensile venu de Chine et qui permet si bien à la feuille de s’exprimer. A la fois humble et d’une grande volonté, confiant, Lucas ambitionne de créer un véritable modèle de culture de thé européen, pérenne, exemplaire en termes d’agroécologie. C’est ce qu’il explique ici à Sidonie qui m’accompagne, le temps de l’enregistrement de notre podcast, «Un thé, un voyage».
La culture du théier
C’est le bouquet !
Au Pérou, le thé vaut si peu cher, il est si peu demandé que la moitié de la production part chez les fleuristes. Les rameaux du théier tiennent longtemps en bouquet. Mais cela est tout de même un peu triste pour les fermiers qui se privent ainsi, faute de savoir-faire, faute d’une demande plus soutenue, de précieux revenus. Ceux-ci leur permettraient de vivre correctement et de développer leur activité. Et c’est mon rôle ainsi que celui de Palais des Thés que de les aider à manufacturer des lots de thé de meilleure, voire d’excellente qualité, et de faire connaître leur travail.
En Indonésie, de rares Grands Crus
L’Indonésie a attisé bien des convoitises lorsque le parfum de ses merveilleuses épices s’est répandu aux quatre coins du globe, mais qui sait que ce beau pays produit aussi du thé, et du thé parfois délicieux ? Certes cet important producteur ne fait pas toujours dans la qualité, mais en cherchant bien et principalement sur l’île de Java, on trouve de sublimes grands crus, manufacturés à la main, bien sûr, et qui réservent à la tasse une expérience unique. Parmi les thés les plus réputés : le thé blanc des monts Cisujen, le Jin Jun Mei de Java et l’Eksotik Teh Hijau.
Amérique du Sud, un autre continent pour le thé
J’ai mis un temps fou à me décider à partir en Amérique Latine. Longtemps j’ai cru que le thé c’était l’Asie et ça n’est tout de même pas rien qu’il soit né là-bas, que la Chine, le Japon aient avec cette plante une histoire plus que millénaire. Puis est venue l’Afrique, une découverte peu banale. On y fait des volumes considérables sur ce continent-là mais si on prend le temps de chercher, on trouve des jardins remarquables qui méritent largement que l’on s’attache à leur production. Et donc l’Amérique du Sud. Un nouveau défi. La Colombie puis le Pérou. Et ma surprise est grande lorsque je découvre les jardins d’une incroyable beauté, des passionnés qui s’essayent à diverses manufactures : thé blanc, vert, noir, oolong. Sans parler de l’accueil, de la joie, du bonheur pour les producteurs d’être demain reconnus. Sans parler des pratiques agricoles, remarquables elles aussi, puisqu’ici, on n’a pas attendu pour être certifié agriculture biologique.
Un sol volcanique
Une fois n’est pas coutume, la route du thé croise celle de l’océan (Indien). L’occasion de constater à quel point le sol de l’île de Java est volcanique. Et donc acide. Une caractéristique importante aux yeux du théier qui n’apprécie rien davantage que ce type de terroir, humidité et chaleur comprises.
Aux Açores, Clara et ses trésors
Sur l’archipel des Açores, des tentatives existent de manufacturer de délicieux thés à partir de récoltes manuelles et de cueillettes particulièrement fines. Les expérimentations ont lieu sur de petites parcelles nichées au cœur de l’île de Sao Miguel. Dans les locaux de l’institut de recherche agronomique, Clara fait subir à ses précieuses récoltes chacune des étapes de la fabrication du thé. A partir de divers cultivars, elle obtient des résultats remarquables. Si la quantité de thé manufacturée reste pour le moment confidentielle, j’ai hâte de pouvoir aider Clara et de futurs agriculteurs de l’île à faire connaître leur surprenante production.
Du thé en Bretagne
Il existe des tentatives de cultiver le camelia sinensis dans de nombreux pays, y compris en France. Sur les rives du Blavet, du côté d’Hennebont (Morbihan), Denis et Weizi font figure de pionniers. Ils ont planté 8 théiers il y a 17 ans, pour subvenir à leur propre consommation. Ils en possèdent 30.000 aujourd’hui, issus de 15 cultivars différents. Leur production pour le moment limitée (20 kg par an) va doubler durant plusieurs années. Leur enthousiasme suscite des vocations et en plus de fournir près de 20.000 plants de thé par an à des amateurs, ils apportent leur aide et forment avec eux une vraie communauté.
Transmettre, c’est mieux.
Apprendre, c’est bien, transmettre, c’est mieux. Depuis plus de 30 ans que je parcours les jardins de thé, j’ai accumulé assez de savoir pour à mon tour en dispenser. Et si je continue, chaque jour et à chaque voyage, de découvrir quelque chose au sujet du thé, je considère dorénavant comme ma mission première de transmettre ce savoir. Voilà pourquoi j’invite mes collaborateurs en voyage, et je vais le faire davantage. Je souhaite qu’eux aussi rencontrent les fermiers, je souhaite qu’eux aussi vivent sur le terrain leur passion pour le thé, je souhaite qu’eux aussi, nouent des liens chaleureux avec les hommes et les femmes qui le manufacturent en haut de leur montagne, et nous accueillent toujours les bras ouverts. Ici, sur les pentes du Kilimandjaro, en compagnie de Chloé et de Nathalie, et d’une équipe de cueilleuses et de cueilleur.
Une flore exubérante
En Géorgie, le thé pousse essentiellement dans les provinces de Gourie et d’Imeréthie, sous un vent d’ouest dominant qui pousse à longueur d’année des nuages chargés de toute l’humidité de la mer Noire. Des régions montagneuses et couvertes de jungle. Les théiers n’ayant pas été entretenus durant près de trente ans, il faut arracher fougères et ronces pour les retrouver, entre deux cueillettes. Un travail de titan pour les petits producteurs et leurs équipes qui voient en quinze jours leurs camellia sinensis disparaître sous une flore exubérante.
Une piqûre recherchée
A l’heure où tout le monde parle de piqûre, je voudrais vous donner le point de vue du théier. Dans certaines parties du monde, à Taiwan et à Darjeeling, notamment, un insecte qui se nomme le paoli (Jacobiasca formosana) vient piquer la feuille du camellia sinensis. La réaction à cette piqûre ne se fait pas attendre et développe, en tasse, une puissance aromatique rare et très recherchée. On retrouve ce bouquet olfactif dans un Oriental Beauty, par exemple, ou bien un Darjeeling Muscatel. Les fermiers de ces régions protègent du mieux qu’ils peuvent l’insecte afin de s’assurer que la piqûre aura bien lieu.