Depuis toujours on boit au Bhoutan le thé venu du Tibet ou de Chine, transporté à flanc de yack. Mais depuis un peu moins de vingt ans et le passage, dans la région, d’un jeune agronome sud-coréen, deux plantations d’une certaine envergure ont vu le jour dans le village de Samcholing, au centre du pays. À plus de 1.800 mètres d’altitude, on y cultive, grâce aux conseils de ce jeune expert, un thé vert qui ressemble à ceux qui se manufacturent au Pays du Matin calme : onctueux, végétal, d’une belle intensité. Quelques années plus tard, c’est un amateur venu cette fois de Thaïlande qui va initier nos producteurs à la manufacture du thé noir et du thé semi-oxydé. À Samcholing, tous les théiers sont issus de graines et près d’une quarantaine de paysans comptent parmi les membres de la coopérative. À sa tête, Rinchen et son mari Kinzang rêvent que les thés de la région rivalisent un jour avec les plus beaux crus du monde, et de voir peu à peu les théiers recouvrir les pentes des montagnes environnantes. Non loin de là, aidée par sa mère, une jeune femme nommée Denchen commercialise des thés de différentes couleurs, avec le soutien d’associations impliquées dans le développement rural. Le tout représente des volumes somme toute modestes : la production annuelle de ces deux entités atteint à peine les deux tonnes. La maison Palais des Thés n’est pas peu fière de figurer en tête des importateurs étrangers. Avec pour mission de faire connaître le thé du Bhoutan en France et dans le monde, un beau défi.
De belles rencontres
Au Bhoutan le thé qui vous est le plus souvent servi consiste en un affreux sachet rempli de brisures. À moins que vous n’optiez pour le thé au beurre, une appellation certes peu engageante et qui cache cependant une boisson digne autrement d’intérêt : un breuvage qui remonte à l’époque des caravanes, un thé qui voyageait à flanc de yack depuis le Tibet et dont la préparation révèle des notes animales. Au moins ce thé-là, pas commode de prime abord, raconte-t-il une histoire.
Au Bhoutan, personne ne sait ou presque que le thé ne vient pas forcément de l’extérieur, qu’il se cultive au centre du pays, dans le district de Trongsa. On passe un col à plus de 3.000 mètres, on traverse des rizières, on reste en arrêt devant de sublimes monastères et si l’occasion se présente, on prend aux côtés des moines le temps du thé.
Parfois on connaît de fausses joies. Quelqu’un vous parle d’un fameux thé et lorsqu’après des heures de route vous vous trouvez en compagnie de la productrice, vous découvrez que c’est à partir de feuilles de sorbier et d’autres arbustes qu’elle confectionne une préparation sans rapport avec notre Camellia sinensis. Avais-je oublié de préciser à mes différents interlocuteurs que le thé pour moi s’entend au sens strict du terme ? Parfois on s’emballe et on en oublie l’essentiel. N’empêche que dans les voyages les détours comptent autant que le but, ainsi fait-on de belles rencontres.
(à suivre)
Matchamania
Influenceuses et réseaux sociaux se sont emparés du matcha dont l’audience se limitait jusque-là aux amateurs de thé et adeptes de la cérémonie japonaise, rejoints par certains chefs pâtissiers ravis d’incorporer à leur recette la fine poudre verte.
Voilà le matcha sur le devant de la scène ou plutôt de l’écran. Un matcha un peu trop fluo pour être vrai mais dans ce monde où réel et virtuel se rejoignent qui s’en soucierait ? Au Japon, les meules qui réduisent en fine poudre les feuilles du thé d’ombre dont le matcha est issu tournent lentement. Pas sûr qu’elles suffisent à répondre à une demande inattendue.
Moteur !
Dans une plantation de thé – à moins de tout faire à la main, du passage au wok jusqu’au séchage, ce qui représente un travail proprement titanesque -, il faut un moteur pour faire tourner les différentes machines. Une curiosité attend celui ou celle qui a la chance de visiter la factory de Badamtam (Inde). Un antique et non moins authentique moteur de bateau trône à l’arrière du bâtiment et après avoir entraîné durant des années les diverses machines dédiées au thé. Aujourd’hui, l’engin brille comme un sou neuf aux côtés d’un petit temple hindou. Les dieux veillent à son parfait fonctionnement.
Orge et sarrasin
Il n’y a pas que le thé dans la vie. Il y a aussi l’orge et le sarrasin. Une fois les graines torréfiées, on les fait infuser. A chaud, à froid, c’est délicieux. Les Japonais, qui en consomment depuis toujours, adorent. En Bretagne on en produit, une chance puisque cela peut éviter de les faire venir du bout du monde. A la rentrée je vous présenterai Yoann, un « torréfacteur d’alternative bretonne », comme il se définit lui-même. D’ici-là, les épis d’orge mûrs auront été fauchés et les jolies fleurs de sarrasin auront eu le temps de faire des graines. Je vous souhaite un bel été.
Jardin zen
Au Japon, pays d’ordre s’il en est, les théiers sont entretenus de la façon la plus rectiligne qui soit. Ils composent des sortes de jardins zen si bien qu’à l’instar de ceux qui se rencontrent à Kyoto et dans bien d’autres régions de l’Archipel, à leur contact on aspire à se poser et à les contempler. Leur esthétique vous absorbe.
Au Japon, la relève en question
Il y a quelque chose qui vous frappe lorsque vous visitez des fermes de thé au Japon, que vous allez de manufacture en manufacture, c’est l’âge des exploitants. Souvent ces couples représentent la quatrième, cinquième, sixième génération, mais quand on les questionne à propos de la relève, bien souvent il n’y a plus personne après eux. Ils n’ont pas ou peu d’enfants, rarement enclins à s’inscrire dans la continuité familiale. Un vrai défi pour les productions de thé au Japon. Certes, les terres ne vont pas disparaître et les théiers sans doute pas non plus, les champs seront repris par une importante société de thé, mais cette mosaïque de très petits producteurs qui cultivent en moyenne environ cinq hectares, contribue à la richesse gastronomique du thé puisque chacun travaille les cultivars de son choix et en fonction de son terroir. Il me semble que c’est important de se fournir chez eux le plus longtemps possible, afin de donner toutes les chances à une aléatoire relève.
Agriculture biologique : des pratiques perfectibles
A la suite de mon dernier billet, j’ai reçu des commentaires qui me semblent intéressants à rapporter. Au préalable, je tiens à préciser que l’Inde est un pays pour lequel j’éprouve un profond attachement, et la région de Darjeeling, je l’ai visitée plusieurs dizaines de fois, c’est vous dire si elle m’est chère. Enfin, en plus de 30 ans, Palais des Thés a multiplié les initiatives pour faire connaître les merveilleux thés en provenance de cette région du monde.
Je fais la synthèse des remarques reçues et je tiens à souligner que ce problème de pesticide qui ne devrait jamais se retrouver a fortiori dans un thé labellisé « AB » ne concerne pas que l’Inde. Dans d’autres pays, la même chose pourrait se produire. Les remarques en provenance d’amis producteurs et que je partage avec vous sont les suivantes :
– Le pesticide incriminé ne se trouve pas facilement, son usage est devenu rarissime dans le thé. En revanche, des pulvérisations de DDT par les autorités existent et ce afin de lutter contre le paludisme dans de rares zones particulièrement infestées ; ces pulvérisations qui gagneraient à être réalisées à l’aide de produits de substitution peuvent se retrouver sur les productions agricoles alentour ;
– La création de barrières végétales entre les routes et les champs, ainsi qu’autour des habitations a été au cœur de nombreuses discussions avec les autorités sanitaires régionales ; c’est une solution facile à mettre en œuvre dans les cas où la lutte contre la présence du moustique porteur du parasite à l’origine de la malaria s’avère indispensable ;
– Parfois, une proximité excessive entre la personne en charge de la certification et le propriétaire de la parcelle nuit au sérieux de ladite mission et aboutit à un contrôle de pure forme ;
Un élément me semble important à souligner, que peu de consommateurs connaissent : les certifications de type « AB » reposent essentiellement sur l’examen de pièces diverses, et les organismes en charge de ces certifications ne procèdent pas systématiquement à des analyses en laboratoire. Notre santé comme celle de nos clients est primordiale, voilà pourquoi j’aborde ce sujet ici de la façon la plus simple, la plus transparente possible.
Chercher l’intrus
Un intrus se cache dans cette photo, saurez-vous le démasquer ? Regardez bien !
Il s’appelle DDT, pour Dichlorodiphényltrichloroéthane. Invisible à l’œil nu. Et pourtant il est bien présent ici, dans cette plantation du nord de l’Inde. Une plantation de surcroît certifiée « agriculture biologique ». Comment est-ce possible ? Voici : il n’existe pas à l’heure actuelle d’obligation de résultat en ce qui concerne le label Agriculture Biologique ou « AB », ce qui signifie que l’organisme certificateur qui va suivre le travail de la plantation va s’assurer par différents moyens que le process de fabrication du thé est conforme aux normes de l’agriculture biologique. Le contrôle va porter sur l’analyse de très nombreux documents mais pas forcément du thé lui-même. Voilà pourquoi, un thé qui ne devrait jamais se trouver en vente peut passer au travers des mailles. Ici, parce que Palais des Thés fait du zèle en quelque sorte, en allant bien au-delà de ses obligations légales, le thé a été envoyé dans un laboratoire indépendant, avant toute mise sur le marché, il est revenu non conforme.
Dans un cas comme celui-là, rare, heureusement, nous prenons immédiatement contact avec le producteur, analyses à l’appui, et lui demandons de reprendre son thé. Il repartira en Inde ou sera détruit, à son choix. La santé des clients n’est pas négociable.
Hojicha, merveilleux thé grillé
Le plus connu des thés grillés japonais, le hojicha (parfois orthographié houjicha ou encore hôjicha), est fait à partir du thé bancha, issu de la récolte d’automne. Après avoir suivi le process de fabrication traditionnel d’un thé vert japonais (étuvage, façonnage, séchage), il est passé au four durant 5 minutes à 150 degrés, d’abord, puis à 300 degrés ensuite, durant une durée analogue. De nos jours, le hojicha est davantage consommé dans les parties du pays où le thé ne pousse pas, donc au nord de Tokyo et principalement sur l’île d’Hokkaido. Pour les amateurs d’accords gastronomiques, servi tiède ou à température ambiante, ses notes boisées et animales accompagnent à merveille la dégustation d’un pont-l’evêque, d’un livarot, ou de tout autre fromage à pâte molle et à croûte lavée ou fleurie.