Vous parler de celles et ceux qui manufacturent les thés que vous buvez, constitue pour moi une motivation forte. Je vous présente aujourd’hui Saran RAI. À Arya Tara (Népal), Saran produit différents grades, mais seulement 300 kilos par an. Ils sont issus de mon cultivar préféré : l’AV2. Une plantation très petite et très qualitative, dont les feuilles fraîches proviennent pour moitié des champs de son exploitation, et pour moitié de la cinquantaine de fermiers locaux. Lorsque je lui demande de quoi il est le plus fier, Saran me répond, « recevoir la visite d’étrangers venus de loin ». En effet, rares sont les visiteurs à s’aventurer jusqu’à son coin de paradis, le chemin est long, en particulier les derniers kilomètres. Ceux-là, je les ai faits à pied, sur une route impossible. Au milieu d’une nature splendide. Et si sa plantation n’est pas certifiée « bio », nul doute que Saran pratique une culture organique.
Un volcan dans le paysage
Sur l’île de Kyushu, au Japon, il n’est pas rare de découvrir un volcan dans son champ de vision et le photographe que je suis s’en réjouit : le relief de ces géants de lave vient souligner l’horizontalité maîtrisée des théiers. Il dérange un paysage un peu trop ordonné. Il rappelle aussi que le temps des récoltes, le temps des saisons, le temps de la vie humaine, tout simplement, est infime. Ici le Mont Kaimon dont la silhouette rappelle celle du Mont Fuji.
Une apparence modeste
Au Népal, les factories sont facilement déglinguées d’apparence : bâtiment en tôle, sans aucun aménagement superflu. On déguste le thé dehors, sur des tréteaux. On est loin de Darjeeling et de sa vie de planteur très British. Mais il ne faut pas en tirer de conclusion hâtives. A l’intérieur de ces bâtiments d’apparence modeste, on trouve non seulement un très bel outillage (petits rouleurs venus de Chine ou de Taiwan, fours de qualité, machine à façonner délicatement la feuille de thé…) mais on trouve surtout un savoir-faire et une créativité uniques. Des jeunes gens passionnés – là aussi à mille lieues de l’image du planteur établi de Darjeeling -, vivent avec les feuilles de thé, au milieu du thé, pour le thé, ne pensent qu’au thé (ou presque), et ont pour unique objectif de créer des thés délicieux, peu importe leur couleur. L’absence de tradition de thé au Népal les aide sûrement à explorer de nouvelles formes pour les feuilles, de nouveaux types de roulage et de manufacture en général. Les thés du Népal « faits main » (par opposition au CTC et aux grandes usines qui existent aussi dans la région d’Ilam) ont un bel avenir devant eux.
Une saison particulière
La saison à Darjeeling s’annonce particulière. Les très beaux thés sont hors de prix (30 à 50% plus cher que les années précédentes), pour compenser, disent les planteurs, leurs pertes subies durant les 105 jours de grève de l’an dernier. A date, j’ai acheté dans les meilleures conditions possibles les Mission Hill DJ4 SFTGFOP1 Clonal, Puttabong DJ14 SFTGFOP1 Clonal Exotic, Puttabong DJ12 SFTGFOP1 Clonal Queen, Orange Valley DJ5 SFTGFOP1 cultivar China, Balasun DJ6 SFTGFOP1 Himalayan Mystic et Rohini DJ15 FTGFOP1 Exotic White, tous en exclusivité. Ils sont d’une qualité remarquable et raviront les amateurs. Pour ceux qui attendent des Darjeeling de Printemps à petit prix, il va falloir être patient. D’une part il n’y a rien de bon marché sinon que de très mauvais, d’autre part même des thés médiocres sont proposés à des prix élevés voire très élevés. Ceux-là ne le méritent absolument pas. En résumé, cette année plus que jamais, la vigilance s’impose.
Pour les amateurs de thés de l’Himalaya qui ne sont pas focalisés sur Darjeeling et recherchent les bonnes affaires, pourquoi ne pas attendre les thés du Népal ? Ils ne vont pas tarder et offrent souvent un excellent rapport qualité-prix.
Des champs de thé hérissés de ventilateurs
Jusqu’à l’extrême sud du Japon on retrouve ces paysages de champs de thé. Ils sont reconnaissables entre autres du fait qu’ils sont hérissés de ventilateurs susceptibles d’éviter à un air trop froid de stagner au niveau des théiers. Ici, je suis proche de la baie de Kagoshima que l’on peut voir au second plan, une région importante pour la production de thé de l’archipel.
Ce qui nous fait du bien ne doit faire de mal ni aux autres ni à la planète
Mon métier ne consiste pas seulement à dénicher des thés assez rares et propres à procurer une émotion gustative, une expérience gastronomique. Mon crédo est le suivant : je veux que ces thés qui nous font tant de bien ne fassent de mal ni à celles et ceux qui les récoltent et les manufacturent, ni à la planète. Une exigence qui n’est pas tous les jours simple à satisfaire. Entre les conditions de travail parfois inacceptables, les résidus de pesticides et l’usage excessif d’engrais qui finissent par détruire la vie dans les rivières, les sujets ne manquent pas. Mais je ne suis pas pessimiste pour autant. D’une part, plus on s’oriente vers des thés de qualité, plus les pratiques sont saines (plusieurs raisons à cela : l’altitude qui est un critère pour la qualité d’un thé offre des nuits plus fraîches et contrarie les différents prédateurs susceptibles de s’attaquer à la plante…) ; d’autre part, pas de thé exceptionnel si on n’est pas des plus attentifs au moindre détail dès la récolte elle-même ainsi qu’à chaque étape de sa manufacture, et cela oblige planteurs et fermiers à s’assurer les meilleurs soins d’un personnel compétent, bien formé et fidélisé. Enfin, j’ai acquis assez d’expérience pour savoir à quoi m’en tenir lorsque je visite une plantation, aussi bien en ce qui concerne les pratiques agricoles que la façon dont on considère les hommes et les femmes qui apportent leur savoir-faire. Je refuse de travailler avec beaucoup de producteurs. Et je savoure d’autant plus le plaisir de mettre en valeur le travail formidable de très nombreux fermiers dont les méthodes culturales sont exemplaires et qui savent conjuguer au quotidien le mot fraternité.
Timides pousses
A Darjeeling, les années se suivent et ne se ressemblent pas. En un peu plus de 30 ans, je n’ai jamais connu quoi que ce soit qui s’apparente à la situation actuelle. Pour mémoire, une grève de 105 jours a empêché tout travail dans les 87 plantations entre juin et octobre. Lorsque les autonomistes ont levé les barrages, l’heure était à Durga Puja, le Noël local. Après des mois d’abandon il a fallu se relever les manches et civiliser à nouveau la jungle. Seulement la main d’œuvre avait en partie fuit le conflit pour trouver du travail dans la vallée. Et voilà où nous en sommes : les théiers ont été rabattus très tardivement – fin décembre, parfois -, ce qui fait que les premières récoltes de Darjeeling de printemps se font attendre. Ce mercredi 14 mars de rares et timides pousses émergent des théiers (photo). Certes, de soi-disant Darjeeling de printemps sont déjà sur le marché depuis plus d’un mois, c’est la magie des Darjeeling de printemps, avant même d’être récoltés ils sont déjà vendus. Explication : certaines plantations de basse altitude bénéficiant d’un climat chaud et équipées d’un système d’irrigation arrivent à produire de petits lots pendant l’hiver. Ils leur attribuent à tort le qualificatif de thés de printemps. Dommage car cela n’a rien à voir en terme gustatif avec cette lente poussée de sève à partir de laquelle on produit un thé unique qui fait la renommée de Darjeeling.
Les variétés sinensis et assamica
Je remercie Laurence, responsable de la boutique Palais des Thés sise rue du Commerce, à Paris, d’avoir eu la gentillesse de prendre cette photo tandis que nous visitions ensemble un centre de recherche dans le nord de l’Inde.
(photo : Laurence Jouanno)
Déguster les thés d’autres fermiers
Yorozu, à Fukuoka, un moment unique
La ville japonaise de Fukuoka n’est peut-être pas la plus visitée par les touristes occidentaux mais si vous allez là-bas et que vous aimez les expériences gastronomiques inédites, foncez chez Yorozu. Il faut réserver d’avance, il faut parler japonais ou bien être accompagné de quelqu’un qui parle cette langue, c’est impératif, et avoir deux heures devant soi. Ensuite, vous vous laissez faire et Suguru Tokubuchi vous fera déguster des associations de thé et de divers alcools, préparations concoctées devant vous, dans un cadre intimiste qui rend encore plus précieuse chaque gorgée, chaque bouchée choisie pour accompagner l’un ou l’autre des cocktails. Un moment unique.