Darjeeling ne se limite pas à ces grands domaines créés par les Anglais à une époque où le soleil ne se couchait jamais sur les territoires de Sa Majesté. De nos jours, au-delà des 83 plantations officielles et dûment enregistrées, il existe diverses initiatives locales, de petites manufactures plus confidentielles qui produisent parfois de très jolis thés. Yanki, par exemple, fait partie de celles-ci, et du côté du village de Mirik, Allan et sa famille travaillent la feuille de thé avec succès. Tandis que la plupart des planteurs de Darjeeling arrivent de diverses régions de l’Inde, eux sont originaires de ces montagnes et parlent la même langue que leurs habitants, le népali. Allan et les siens achètent les feuilles fraîches des villageois alentour et à partir de ces feuilles ils mettent au point des crus fameux.
Inde
Six mois sans pluie
Au début du printemps, sur chaque rameau du théier, on voit apparaître les jeunes pousses. Ici, à Darjeeling, elles surviennent après un long hiver durant lequel chaque camélia entre en dormance. Cette hibernation dure près de quatre mois, de mi-novembre à début mars environ, selon les conditions climatiques ambiantes.
Cette année, du côté de ces contreforts himalayens sur les pentes desquelles les Anglais ont eu l’idée de faire pousser le thé, il n’y a de cela pas deux siècles, la sécheresse a sévi. Six mois sans pluie ou presque. Dérèglement climatique oblige, lié au réchauffement de la planète, selon les uns, à la déforestation, selon les autres. La conséquence de ces désordres se traduit en chiffres et à la mi-mars, on s’attendait à une production inférieure de moitié à ce qu’elle était l’an passé. En ce qui concerne la qualité, pas d’inquiétude, une pousse lente plaidant plutôt en faveur d’une qualité accrue et d’une plus grande concentration aromatique.
« Du temps donné aux moustiques »
Si vous ne priez pas, en Inde, c’est du temps donné aux moustiques, écrit Henri Michaux, et cela est particulièrement vrai de la ville de Bénarès que les Indiens nomment de nos jours Varanasi. Ici la religion se rencontre à tous les coins de rue et attire chaque soir, sur la rive du fleuve sacré, une foule immense. Il faut veiller jusque tard pour que de la cité ne reste que ses fantômes et cette ferveur encore palpable entre les fumées d’encens et les bougies chargées d’amour envers un disparu. Quant aux ablutions et quelle que soit l’heure du jour, c’est chacun son style.
Pour que déguster le thé reste toujours un plaisir
Me voici en Inde pour le commencement des récoltes de printemps. Entre le moment où nous dégustons un thé aussi fragile qu’un thé primeur, entre le moment où nous l’achetons, où ce thé est mis à bord d’un avion, et le moment où vous le trouvez dans votre boutique préférée, il s’écoule un certain nombre de jours, incompressibles. En effet, une fois rendu dans nos entrepôts et à moins que ce lot soit déjà certifié « bio » par un organisme agréé, nous envoyons et de notre propre fait un échantillon de ce thé dans un laboratoire indépendant afin qu’il soit soumis à un contrôle très strict de plus de deux cents résidus de pesticides. Et pour les thés déjà certifiés, nous pratiquons tout de même des tests et sur une base cette fois aléatoire. Seul en France à s’être hissé à un tel niveau d’exigence, Palais des Thés assure ainsi la communauté des amateurs de la parfaite conformité de ses lots et de leur bien-être à tous.
Photo : Alexandre Denni.
Un marathon qui a pour nom Darjeeling
Chaque année, les tea sommeliers que nous sommes ont droit à leur marathon. Il a pour nom Darjeeling. Les échantillons de thés de printemps en provenance de cette région arrivent par pochette de dix, vingt, trente. Il faut tout goûter dans la demi-journée si l’on veut avoir une chance que les thés soient encore disponibles. Plus l’on se dépêche, plus c’est cher, mais plus l’on tarde et plus on prend le risque de ne rien avoir du tout des thés que l’on aime. Cet exercice qui ne se pratique que pour Darjeeling, du fait que les ventes se font au plus offrant et que les lots ne dépassent pas quelques dizaines de kilos, dure environ six semaines. A la suite de quoi toute la production printanière a trouvé preneur et les théiers, contrariés par trois prélèvements successifs, font une pause avant de reprendre leur pousse. On peut se permettre ici un constat : année après année, ces thé valent de plus en plus cher. Pourtant, tous les jardins situés à Darjeeling prétendent perdre de l’argent du fait des coûts de production en hausse, et ces hausses ne semblent malheureusement pas bénéficier aux cueilleuses. Les audits de Mckinsey, si décriés en cette veille d’élection, seraient ici précieux pour faire la lumière sur ce mystère.
Un printemps à s’offrir
Dans un monde en fureur, prenons le temps du thé, et puisque le printemps arrive, avec lui les premières fleurs, les premières pousses, dégustons celles qui nous parviennent tout juste de l’Himalaya. Les camelias sinensis les plus précoces s’épanouissent sur les contreforts de ce fameux massif et la saison du thé commence à peine à Darjeeling. Après un hiver rigoureux, une longue dormance, les théiers s’éveillent. Les plus jeunes feuilles récoltées à l’extrémité de chaque rameau développent à la tasse des parfums floraux, amandés, herbacés.
Je viens d’acheter le lot de « Rohini Early Spring Ex 4 », ainsi que le « Millikthong Early Spring Ex 2 ». Une fois parvenus en France et envoyés en laboratoire pour analyse, Safetea™* oblige, ils seront disponibles. Et avec eux une pause, un moment à part, un parfum de printemps, à une certaine distance du bruit du monde.
*Engagement de Palais des Thés de proposer à ses clients uniquement des thés certifiés issus de l’agriculture biologique ou analysés en laboratoire indépendant afin de s’assurer de leur conformité avec la législation européenne.
A Darjeeling, les récoltes précoces ne sont pas les meilleures
Cette année ne ressemble à aucune autre et je suis bien incapable de prédire la façon dont elle va se dérouler en termes de culture, de transport et de disponibilité des grands crus. De Darjeeling, j’apprends à l’instant que l’on vient de récolter le tout premier lot. Ceux qui me suivent depuis longtemps, les amateurs de Darjeeling de printemps, entre autres, savent qu’il ne faut pas se précipiter. Dans cette région, on commence par récolter les feuilles de basse altitude, elles jouissent de températures plus clémentes. Au fur et à mesure que celles-ci se réchauffent, les jardins situés en hauteur récoltent à leur tour. Or plus la période de dormance aura été longue, plus la sève aura été lente à monter et plus les feuilles cueillies seront chargées en huiles essentielles. Un avantage qualitatif pour les jardins qui tarderont à venir.
De chaleureuses pensées
Les intempéries en Inde et dans les régions himalayennes, qui ont fait de nombreuses victimes et des dégâts considérables, ont eu des conséquences sévères dans plusieurs régions de thé, à commencer par le district de Darjeeling ainsi que les vallées orientales du Népal. Le sud de l’Inde n’a pas été épargné. Des pluies violentes qui entraînent des glissements de terrain, arrachent routes et ponts, en sont la cause, en sus des activités humaines diverses qui vont de la déforestation à la construction de barrages en passant par un urbanisme non maîtrisé.
Porter davantage attention à notre planète, étendre notre bienveillance aux générations futures, telle devrait être notre préoccupation de chaque instant.
Je propose à celles ou ceux qui le souhaitent de prendre le temps aujourd’hui de se préparer un beau thé de Darjeeling ou bien du Népal, de le déguster de façon harmonieuse face à un beau paysage, par exemple, et d’envoyer ainsi à nos amis de chaleureuses pensées.
Frères et sœurs
Un jour, il y a plus de dix ans de cela, j’ai rencontré quelqu’un de (très) célèbre et l’une des phrases qu’il m’a dite a changé ma vie. Cette personne s’appelle Richard Gere et le jour où j’ai eu le bonheur de le rencontrer, il m’a demandé, lui qui est amoureux de Darjeeling, de l’Himalaya, lui qui est un adepte du bouddhisme il m’a donc demandé, ce que Palais des Thés faisait « pour nos frères et nos sœurs de l’Himalaya ». Je suis resté comme deux ronds de flan, à l’énoncé de cette expression, nos frères et nos sœurs de l’Himalaya. Cette phrase, cette question a changé ma vie. Parce que depuis ce jour, à chaque fois que je vois une cueilleuse, un cueilleur, je pense à la question de cet homme, qui m’avait pris au dépourvu, je pense à sa façon de nommer celles et ceux qui habitent ces montagnes, et depuis, ce ne sont plus des cueilleurs, des cueilleuses, que je vois, ce sont des frères, des sœurs. Et ça change tout.
Mes amis indiens
L’épouvantable pandémie qui frappe l’Inde et épargnera le Népal, je l’espère, me rappelle, s’il en était besoin, à quel point je tiens à mes amis indiens. Ils sont trop nombreux pour être cités, à Darjeeling, Kolkata ou ailleurs. Parmi eux, mon ami Anil Darmapalan que j’ai connu il y a plus de 20 ans lorsqu’il dirigeait la plantation de Thiashola et m’avait reçu avec sa femme Sharmila, et tout le personnel de la plantation, avec la plus extrême gentillesse.
Après avoir été auditeur auprès d’un organisme certificateur et donc particulièrement au fait de toutes les problématiques liées à la conversion d’une plantation de conventionnel en bio dynamique, Anil vit aujourd’hui du côté de Ooty (Tamil Nadu), au milieu des fleurs. A Sharmila et Anil, comme à tous mes amis indiens, je souhaite de prendre bien soin d’eux.