Lorsque je traverse certaines régions de France, je suis effaré. Où sont les haies ? Où sont les talus ? Lors de mes voyages lointains, si je rencontre une plantation de thé qui s’étend à perte de vue, sans un arbre, sans un talus, sans une haie, je pars en courant. Je sais bien que je ne peux pas y trouver un thé propre, un thé produit dans des conditions respectueuses de la nature. Pour produire un thé propre, sans produits phytosanitaires, on a besoin de la nature. On a besoin des coccinelles pour attaquer d’autres insectes, on a besoin des oiseaux pour en éliminer à leur tour, on a besoin des vers de terre pour aérer les sols, on a parfois besoin des vaches pour que leurs bouses mêlées à des déchets végétaux nourrissent les vers et enrichissent les sols. Et toutes ces bêtes ne peuvent être présentes que si elles disposent d’un habitat. Donc un talus. Donc une haie. Des arbres. Voire une étable. Dans mon métier de chercheur de thé – métier qui consiste à découvrir un bon produit issu d’une agriculture respectueuse, issu de méthodes culturales propres et pérennes-, un champ d’un seul tenant sur des centaines d’hectares est une vision d’horreur.
Ici, à Poobong (Inde), un paysage qui offre la possibilité d’une biodiversité.
Des œufs au thé
Si vous n’avez jamais cuisiné avec du thé, voici pour vous lancer la recette la plus simple, celle des œufs marbrés. Pâques approche, il n’est pas question ici de chocolat, mais avec les œufs on reste quand même dans le thème. Et après tout, rien ne vous empêche de les cacher ensuite si vous êtes d’humeur farceuse.
Faites durcir vos œufs puis passez les sous l’eau froide. Craquelez la coquille en cognant doucement l’œuf dur de tout côté. Puis plonger l’œuf dans l’eau frémissante durant 20 minutes avec 15 grammes de pu erh impérial (pour 300ml d’eau), un bâton de cannelle, une cuillère à soupe de sauce soja, deux anis étoilés et une pincée de sel. Ensuite, laisser refroidir le tout et garder au frais durant 48 heures.
Cent thés par jour
Lorsque je raconte aux personnes que je rencontre qu’il m’arrive de déguster cinquante ou cent thés par jour, voire davantage, j’ai droit à des réactions de surprise, et cette question qui revient : comment peut-on goûter autant de thés et sentir encore quelque chose ?
En fait, il est plus facile de déguster vingt thés qu’un seul, surtout s’ils proviennent d’un même terroir, car en passant d’une liqueur à l’autre, en comparant leur tenue en bouche, leur saveur, leur profil aromatique, il devient assez facile de se faire une opinion sur chacune. Lorsque l’on déguste un seul thé, il faut drôlement bien maîtriser les techniques de dégustation et avoir de solides connaissances sur la typicité de sa manufacture pour s’en faire une parfaite opinion.
Shiraore Kuki Hojicha et Pont-l’Evêque, un accord confondant
D’une façon générale, les thés grillés japonais fonctionnent très bien en association avec des mets (crustacés, saumon à l’unilatéral, poisson fumé, dessert à base de fruits rouges ou de praline…). Ils font aussi merveille en fin de repas, y compris auprès des amateurs de café qui en apprécient les parfums de torréfaction.
Ici, en accord avec un Pont-l’Evêque, le Shiraore Kuki Hojicha en impose et développe au contact du fromage un bouquet à la fois boisé et pyrogéné, ainsi que des notes de fruits cuits. Une belle association.
Le thé a infusé une heure dans l’eau à température ambiante. Il se conserve ensuite très bien au frais pendant 24h.
Etes-vous plutôt Clonal Superb ou China Exotic ?
Les Indiens utilisent la nomenclature héritée des britanniques pour décrire les feuilles de thé (voir mon précédent billet). Cependant, depuis quelques années, ils ne se contentent plus des simples lettres « FTGFOP » ou même « SFTGFOP1 ». Ils y ajoutent des mots, en général très jolis. Certains ont une signification précise, les autres font à l’oreille une jolie musique et le producteur entend par là vous faire comprendre que ce thé exceptionnel mériterait, du plus offrant, un prix lui aussi exceptionnel. Pour les premiers, les mots China, Clonal, AV2 décrivent le théier récolté. Un cépage originaire de Chine (Camelia sinensis sinensis), un cépage hybride (le mot clonal est donc impropre en français), ou encore le nom précis du cépage (AV2 pour Ambari Vegetative n°2).
Pour les seconds, Exclusive, Delight, Exotic, Superb, Mystic, l’imagination est sans limite. Wonder, Enigma, Euphoria, c’est pas mal non plus. Je suis prêt à parier que d’ici un an ou deux on m’offrira le Nirvana !
Parlez-vous le DJ-12-SFTGFOP1-Clonal-Superb ?
On me demande souvent ce que signifient les lettres et mentions qui suivent le nom d’un thé. Prenons pour exemple un Darjeeling de printemps Singbulli DJ-12-SFTGFOP1-Clonal-Superb.
– Singbulli correspond au nom de la plantation
– DJ12/19 signifie qu’il s’agit de la 12ème récolte de l’année 2019 (lorsqu’il est indiqué EX12/19 au lieu de DJ12/19, EX comme « extra » cela signifie qu’il s’agit d’un lot annexe, manufacturé en plus du lot principal du jour, il s’agit du 12ème petit lot de l’année 2019.)
– Les lettres SFTGFOP1 décrivent l’apparence de la feuille sèche. Le grade FTGFOP signifie que la feuille est « Finest Tippy Golden Flowery Orange Pekoe ». Autrement dit, il s’agit d’un thé à feuilles entières, riche en bourgeons. Avec les années, la fantaisie aidant, ce grade s’est étoffé. S pour Super et 1 pour… ? Mystère !
A ce jour, seuls les Indiens utilisent le grade SFTGFOP1.
La semaine prochaine je vous parlerai des mentions Clonal, Superb, Exotic et autres Delight !
Darjeeling ouvre le bal
Les thés de printemps sont souvent les meilleurs, première récolte oblige. A la sortie de l’hiver les nuits sont encore froides, la pousse est lente et offre une plus grande richesse aromatique. Chaque année c’est Darjeeling qui ouvre le bal, avant le Népal, la Chine, le Japon.
Au mois de mars, je peux déguster près de cent thés par jour, chacune des 87 plantations de Darjeeling manufacturant des lots très petits – quelques dizaines de kilos parfois. Dans cette région, durant la période où l’on produit des thés de grande qualité, on ne mélange pas les feuilles récoltées la veille avec celles du lendemain. En conséquence, les dégustations se suivent et ne se ressemblent pas. Les meilleurs lots s’arrachent à prix d’or, en quelques heures seulement, d’où l’importance de bien connaître chaque producteur et d’entretenir avec chacun les meilleures relations possibles.
Racontez-moi le thé !
Dans les plantations de thé, je croise des cueilleuses et des cueilleurs, bien sûr, ainsi que des villageois qui rejoignent à pied leur hameau. Je croise aussi, mais c’est plus rare, des équipes de télévision. Je viens de passer deux jours avec Julie et Romain, qui ont demandé à me suivre. Julie est journaliste et Romain que vous voyez ici est reporter d’images. Ils attendent de moi que je leur explique mon métier, et puis aussi que je fasse comme s’ils n’étaient pas là de façon à être les témoins des moments que je passe dans les champs de thé, à déguster le thé et à échanger avec les personnes que je rencontre. En leur compagnie, mon travail est un peu différent de ce qu’il est d’habitude, mais tout aussi riche. Comme à des clients qui entreraient pour la première fois dans une boutique et qui demanderaient « Racontez-moi le thé !», je leur explique le plus de choses possible, aussi bien à propos de la vie de la plantation que sur la façon de produire les meilleurs thés. J’ai maintenant hâte de voir leur beau reportage, diffusé le 16 mars prochain à partir de 19 heures sur TF1 lors de l’émission « 50 minutes inside ». Le reportage ne dure je crois qu’une poignée de minutes. Le temps d’un thé.
Dans les champs de thé
On peut déguster son thé dans sa cuisine, dans son salon ou encore au lit. On peut déguster son thé sur son balcon, dans son jardin, à sa table de travail, on peut déguster son thé face à un jolie vue. On peut aussi déguster son thé dans la plantation elle-même. On recouvre une table toute simple d’un tissu de couleur rouge, pour rompre avec le vert ; on dispose ensuite les feuilles sèches sur un support blanc afin de les observer le temps que la liqueur parvienne à la bonne température, puis l’on savoure son thé au milieu des théiers, ceux-là même dont il est issu. Merci à Vinod Kumar pour cette belle dégustation dans la plantation d’Achoor.
Les thés du Kerala
Les régions de production du sud de l’Inde se situent pour l’essentiel au Tamil Nadu (autour de Ooty et de Coonoor) et au Kerala (Munnar et Wayanad). Si les thés du sud de l’Inde ne sont pas les plus réputés du pays, il n’empêche que lorsque l’on cherche bien, on peut trouver des plantations qui manufacturent des thés tout à fait intéressants. Ici, dans la région de Wayanad avec, en fond, le sommet des Ghats occidentaux, le pic Chembra.