Dans la plantation de Delmas Bari, où j’étais il y a quelques jours, on arrosait certaines parcelles pour palier à la sécheresse. Sur ce versant de Darjeeling qui fait face au Sikkim, il n’a pas plu depuis octobre dernier. Ailleurs, il est tombé un peu d’eau les jours précédents. Cette disparité de climat d’une plantation à une autre pourtant distantes de quelques kilomètres à peine est l’une des spécificités de Darjeeling. Jusqu’au sein d’une même plantation il peut y avoir des différences de climat considérables. Heureusement, comme on peut le voir sur cette photo, les bourgeons – d’un vert-tendre – commencent à pousser. Sur cette parcelle, encore un ou deux jours de patience avant de pouvoir récolter sérieusement.
L’écharpe de bénédiction
En Inde, pour vous souhaiter la bienvenue, il arrive que l’on vous passe une écharpe de soie autour du cou et que l’on vous bénisse aussitôt. A DelmasBari, j’étais tellement désolé de constater l’état de sécheresse de la terre que devant mes hôtes, j’ai pris l’écharpe qui venait de m’être offerte, pour à mon tour bénir. J’ai béni l’un des théiers de la plantation, au nom de tous les autres, et j’ai prié pour que vienne la pluie.
En attendant la pluie à Darjeeling
A Darjeeling où je suis en ce moment, il n’a pas plu une goutte d’eau en janvier comme en février. Du coup, la plupart des plantations n’ont pas encore commencé à récolter. Seules celles qui possèdent des parcelles de basse altitude et qui pratiquent l’irrigation ont manufacturé quelques lots. Mais ici, les premiers thés ne sont jamais les meilleurs. A Darjeeling, lorsque l’on recherche la qualité, il faut savoir ne pas se précipiter.
De la récolte à la manufacture
Aussitôt les feuilles de thé récoltées, elles doivent être amenées sur le lieu de leur manufacture le plus rapidement possible. Il faut à tout prix éviter que les feuilles entassées ne fermentent. Cette fermentation accidentelle affecterait de façon notoire la qualité du thé. Ici, au Kenya, on utilise de très grandes hottes, très aérées, afin que les feuilles cueillies respirent bien.
Une plantation de thé au Kenya
La plantation de Kangaita, au Kenya, est l’une des rares à proposer des thés de qualité, c’est-à-dire en feuilles entières. Le parc national du Mont-Kenya borde le domaine et nombreux sont les oiseaux qui viennent voleter dans les théiers. En revanche, les éléphants ne sont pas les bienvenus, en raison des dégâts qu’ils occasionnent. Ici, au loin, les cimes du Mont Kenya, il culmine à 5.199 mètres.
Le thé des pentes du mont Kenya
Darjeeling : un thé qui ne s’achète pas les yeux fermés
Il se vend dans le monde beaucoup plus de thé de Darjeeling que Darjeeling n’en produit. Par ailleurs, il existe des écarts considérables d’un jardin à un autre, en terme de qualité, et des écarts considérables de qualité au sein d’un même jardin. Ces différences s’expliquent par des variations climatiques fortes (un jardin peut manufacturer des thés exceptionnels en avril par exemple, ce qui est impossible en juillet en période de mousson), et par le fait qu’une même plantation possède des théiers à des altitudes très variées. A Tukvar, par exemple, il existe un écart de 1.000 mètres de dénivelé entre le sommet de la parcelle la plus haute et le point le plus bas de la plantation.
On se doit donc d’être vigilant lorsque l’on achète des thés de Darjeeling, on ne peut en aucun cas se fier à ce seul nom, aussi prestigieux soit-il. Et ce, d’autant que les plantations de plaine et de qualité médiocre jouxtent celles qui ont droit à l’appellation, et que la nature humaine étant ce qu’elle est, les tentations sont grandes de faire passer du thé de Terai pour du Darjeeling.
Pour les amateurs de Darjeeling de printemps, il faut encore attendre quelques semaines pour découvrir la nouvelle récolte de printemps, dans cette région du monde, les théiers entrent en dormance de novembre à février du fait de température du sol trop fraîche pour le camellia siniensis.
Comprendre les sensations en bouche
Trois sens sont concernés lorsque l’on a le thé en bouche et que l’on en analyse la liqueur : le goût – il se concentre sur les saveurs (sucré, salé, acide, amer, umami…)-, l’odorat – et on le rend plus performant encore grâce à la technique de la rétro-olfaction (technique qui consiste à expirer l’air par le nez pour amener davantage de molécules olfactives dans la cavité rétro-nasale)-, et le toucher qui nous indique bien sûr le chaud ou le froid, l’astringence ou bien le soyeux, entre autres sensations tactiles. Si l’on veut décrire un thé, il est essentiel de bien comprendre ce qui est du domaine des saveurs, du domaine des notes olfactives ou encore du domaine du toucher. Cela va nous aider aussi lorsque nous dégustons à plusieurs, afin de partager nos sensations.
La dégustation du thé, une histoire de sens
Lorsque je donne un cours à l’École du Thé, ou bien lorsque j’organise une dégustation pour des collègues, l’une des premières choses que je fais est de leur poser une question très simple : une fois que vous avez mis un aliment dans votre bouche, combien de sens sont en contact avec cet aliment et lesquels ? Et ça ne manque pas, les réponses varient. Or il est essentiel pour déguster, et c’est valable pour n’importe quel aliment, de comprendre quels sont les sens concernés et ensuite de se construire le vocabulaire adéquat.
Les Pu Erh, une famille de thés fascinante
A cette époque de l’année, j’apprécie particulièrement savourer un Pu Erh après le repas. D’abord il est dit en Chine que ce thé « dissout les graisses » et aide à prévenir le cholestérol. D’autre part, j’aime son odeur de terre mouillée, de bois vermoulu, de paille humide, son odeur d’étable, de champignon, de mousse de chêne, son odeur de cave, de bois sec, de réglisse, son odeur de crinière, de cire, de silex, son odeur végétale, son odeur fruitée.
D’un pu erh à l’autre, la panoplie des notes olfactives est large, une raison supplémentaire de découvrir cette famille de thés fascinante, les seuls qui ont subi une réelle fermentation. Ils existent en vrac ou bien en galette, ils peuvent être « crus » ou bien « cuits », selon qu’ils ont fermenté selon une méthode traditionnelle ou bien de façon accélérée, ils peuvent enfin se bonifier en vieillissant, tels de bons vins.