Faire découvrir l’incroyable richesse gustative du thé aux chefs d’aujourd’hui et de demain fait partie de ma mission, le pendant de mon travail sur le terrain avec les fermiers. D’un côté je sélectionne les Grands Crus, de l’autre, j’aide les chefs à se les approprier. Des thés, il en existe de différentes couleurs, de différentes origines et il existe également de très nombreux cépages. La richesse gastronomique du thé vient de chacune de ces variations. Il faut goûter pour comprendre et c’est ce que je fais ici en compagnie de Bryan Esposito, chef pâtissier à l’hôtel du Collectionneur à Paris et ancien chef pâtissier de l’hôtel Westminster. Faire découvrir la richesse gustative du thé c’est aussi appréhender la manière d’obtenir la liqueur la plus appropriée à l’usage souhaité. Le dosage, le temps et le mode d’infusion d’un thé ne seront pas les mêmes selon que l’on veut obtenir une liqueur qui sera dégustée telle quelle ou bien intégrée à une recette. Les paramètres de l’infusion sont intéressants à travailler, de même que l’infusion à froid qui ouvre les portes à de nombreux usages en cuisine. Inutile de vous dire que j’ai hâte de savourer les prochaines créations de Bryan !
Dégustation
Dégustation de grands crus avec Anne-Sophie Pic
Cette semaine, j’ai eu l’immense joie de déguster une belle sélection de Grands Crus en compagnie d’Anne-Sophie Pic et de ses équipes de sommeliers. Une immense joie car Anne-Sophie Pic est d’une gentillesse et d’une prévenance extrêmes et m’a reçu, à Valence, comme un roi. Une immense joie car Anne-Sophie Pic affiche une soif d’apprendre et une disponibilité remarquables quand on sait qu’elle est la seule Française triplement étoilée. A l’écoute, attentive, curieuse. Nous avons dégusté des thés infusés, certains à chaud, d’autres à froid. Nous avons voyagé de Darjeeling au Japon en passant par le Népal, la Corée du Sud, le Viêt Nam et même l’Afrique, au rythme des dégustations. Nous avons échangé sur les usages du thé en cuisine, évoqué de possibles accords thés et mets. Quel bonheur que de participer, aussi modestement soit-il, à son inspiration ! Et quel luxe que de partager sa table ensuite, le temps d’un repas inoubliable, comme un feu d’artifice de textures, de saveurs et de parfums. Merci Anne-Sophie.
Une tasse pour sentir, une autre pour déguster
L’usage de la tasse à sentir offre une expérience de dégustation unique. Elle permet de se concentrer sur l’olfaction. Aussitôt remplie, la tasse à sentir est vidée dans la tasse à déguster et cette même tasse à sentir, haute et étroite, va conserver les arômes du thé. On la porte à ses narines pour tenter de distinguer chaque parfum laissé par la liqueur. Quelques minutes plus tard on dégustera le thé lui-même, il sera alors à parfaite température.
Déguster les thés d’autres fermiers
Dégustation avec Manuel, Meilleur Sommelier de France
Meilleur Sommelier de France, Manuel Peyrondet s’intéresse aussi au thé. Il est venu déguster avec moi quelques grands crus, préparés à température ambiante, c’est-à-dire ayant infusé 1 heure précisément dans une eau à 20 degrés. Nous avons discuté des accords thés et mets, sous l’œil de Vanessa Zochetti qui nous interviewait pour le prochain numéro de Bruits de Palais. Déguster avec un sommelier, a fortiori avec Manuel, ancien sommelier du George V, ancien chef-sommelier chez Taillevent puis au Royal-Monceau représente une expérience unique. Dans le monde de la gastronomie, nous vivons souvent chacun dans notre bulle, concentré sur le produit auquel nous nous consacrons, le vin, pour Manuel, le thé, pour moi et cela fait un bien fou de sortir de ses frontières, de confronter ses ressentis, de se frotter à des textures, à des arômes, à des saveurs différentes. Cela donne des échanges particulièrement enrichissants.
Et pour celles et ceux qui ne boiraient pas que du thé, Manuel anime un club d’amateurs, excellente adresse pour qui souhaite se constituer une cave et participer à des dégustations : www.chaisdoeuvre.com
(photo : Emmanuel Fradin)
Du thé et du style
Analyse de la feuille humide
Lorsque l’on déguste du thé, on s’intéresse à tous les stades de la feuille. On s’intéresse à la liqueur, bien sûr, que l’on déguste, on s’intéresse aussi à la feuille sèche (est-elle entière ou brisée ? est-elle composée de bourgeons ? quelle est la couleur des feuilles ? sont-elles homogènes ?). Enfin, la feuille infusée a beaucoup à nous apprendre. On va la sentir, la presser comme le fait ici Nirananda ACHARYA. Il est fréquent que l’odeur de la feuille humide nous donne des indications aussi précises que la dégustation de la liqueur elle-même. La feuille humide raconte à sa manière chaque étape de la fabrication. On peut y percevoir le moindre défaut ou, au contraire, être séduit par son incomparable bouquet.
Une belle dégustation en perspective
L’Ecole du Thé forme les équipes de Palais des Thés pour que leurs connaissances soient au meilleur niveau possible. L’Ecole du Thé forme également des particuliers qui souhaitent s’initier au thé ou bien se perfectionner à sa dégustation. Enfin, L’Ecole du Thé forme les professionnels de la gastronomie. Récemment, les équipes de l’hôtel Ritz, à Paris, ou encore de l’hôtel Bristol, sont venus se former. Maîtres d’hôtel et sommeliers découvrent le thé, souvent avec passion, certains en savent déjà long et ceux-là aussi ont soif d’apprendre. Voici comment se prépare une dégustation, celle-ci a eu lieu au sein de l’Institut Paul Bocuse il y a quelques jours : 3 sets à déguster par participants pour déguster 3 grands crus (Jade oolong de Madame Ming, Dong Ding Antique, Pu Erh Menghai XO Milésime 1999). Enfin, 5 thés ont été infusés dans l’eau froide et seront servis dans des verres à pied : Ryogôchi Saemidori Shicnha Ichibancha 2017, Kagoshima Benifuki de Monsieur Kumada, Népal Kanchenjunga Gold Récolte Tardive, Satemwa Dark et enjin Jukro de Corée. Dans de petites soucoupes on peut observer les feuilles de thé. En revanche, les noms des thés n’y figurent pas, j’aime faire déguster à l’aveugle, sinon en cachant la couleur du thé au moins en ne disant pas ce que l’on goûte pour laisser à chacun la possibilité de s’ouvrir à quelque chose de nouveau, sans préjugé. Nous sommes ici dans une approche gastronomique du thé. Nous sommes dans l’éveil des sens et dans la description d’une texture, d’une saveur et la reconnaissance des arômes. Mon rêve : faire naître des vocations et donner envie aux participants de devenir un jour « Tea Sommelier » !
Le temps de la préparation
Le temps de la préparation à la dégustation est un temps privilégié. J’observe les gestes de celui qui officie, ses gestes sont minutieux. Les feuilles sont présentées sur un support qui permet de les observer, ensuite le thé est pesé au dixième de gramme, puis vient de temps de l’infusion, toujours précise, minutée. Chaque thé doit avoir été infusé dans des conditions strictement identiques. Avant de passer à la dégustation elle-même, le temps que les liqueurs refroidissent un peu, je prends souvent quelques photos de la pièce elle-même, ou bien des photos des gestes, des visages, ou encore des paysages. Je me sers souvent des vitres. Les reflets sont imprévisibles. Je photographie à travers les vitres devant des interlocuteurs toujours perplexes. Ici, à Kanchenjunga tea estate, à travers la vitre grillagée, les gestes du préparateur sur fond de montagne et de jardin de thé.
Le « tea pet », meilleur compagnon de l’amateur de thé