En temps normal, la période estivale offre une belle occasion de prendre le large. Mais cette année, je doute que vous ayez la chance de découvrir de lointains paysages. La magnifique baie de Kagoshima, par exemple. L’un des plus célèbres volcans japonais la domine. Il a pour nom Sakurajima. En activité, il crache trois à quatre fois par jour de somptueuses volutes blanches et ces fumerolles s’étirent dans le ciel de cet extrême sud du Japon que les amateurs de thé connaissent bien. Les gyokuros sont ici fameux et c’est dans un sol fait de lave que les théiers enfouissent leurs profondes racines.
Japon
Des théiers en hiver
Voici à quoi ressemble un jardin de thé japonais en hiver. Sur fond de volcans, des alignements de théiers taillés de frais attendent le printemps pour sortir de leur période de dormance. Ils roupillent sous l’œil bienveillant de ventilateurs prêts à chasser d’éventuels brouillards givrants.
À Kumamoto, le jardin Suizen-ji
Lorsque je suis au Japon, à la moindre occasion je visite des jardins. Ce sont des lieux d’une beauté incroyable. Des lieux de paix, des lieux de silence dans lesquels d’invisibles jardiniers habités par un sens aigu de la perfection taillent aux ciseaux la plus petite pousse. Ils sculptent le vivant de façon à donner au tout le spectacle d’un paysage grandeur nature. D’un simple monticule on symbolise le Mont-Fuji.
J’y viens souvent avec un livre et j’alterne entre lecture et contemplation. Un peu l’idée que je me fais du paradis.
Des récoltes mécaniques d’une haute précision
Le thé se récolte à la main, dans la plupart des pays qui en produisent. Le Japon figure comme une exception et le coût élevé de la main d’œuvre en est la principale explication. La sophistication des outils utilisés par les fermiers de ce pays leur permet de procéder à des récoltes mécaniques d’une grande précision. Seules les jeunes pousses seront prélevées et un tri draconien sera ensuite effectué, en usine, grâce à des machines équipées d’yeux électroniques.
La première récolte est la meilleure
Depuis les tout premiers jours de mai, je déguste et sélectionne, en provenance du Japon, les meilleurs thés de la saison. On les nomme Ichibancha puisqu’ils sont issus de la première récolte de l’année. Les thés japonais proviennent de la région de Shizuoka, d’Uji, ou encore du sud de l’archipel. Alors que dans le nord du pays, le théier omniprésent se nomme le Yabukita, dans le sud, du fait d’un climat plus chaud, sa proportion y est moindre. Par exemple, ici, autour de Kagoshima, le cultivar Yutaka Midori domine et représente près de 60% de la production.
Un volcan dans le paysage
Sur l’île de Kyushu, au Japon, il n’est pas rare de découvrir un volcan dans son champ de vision et le photographe que je suis s’en réjouit : le relief de ces géants de lave vient souligner l’horizontalité maîtrisée des théiers. Il dérange un paysage un peu trop ordonné. Il rappelle aussi que le temps des récoltes, le temps des saisons, le temps de la vie humaine, tout simplement, est infime. Ici le Mont Kaimon dont la silhouette rappelle celle du Mont Fuji.
Des champs de thé hérissés de ventilateurs
Jusqu’à l’extrême sud du Japon on retrouve ces paysages de champs de thé. Ils sont reconnaissables entre autres du fait qu’ils sont hérissés de ventilateurs susceptibles d’éviter à un air trop froid de stagner au niveau des théiers. Ici, je suis proche de la baie de Kagoshima que l’on peut voir au second plan, une région importante pour la production de thé de l’archipel.
Yorozu, à Fukuoka, un moment unique
La ville japonaise de Fukuoka n’est peut-être pas la plus visitée par les touristes occidentaux mais si vous allez là-bas et que vous aimez les expériences gastronomiques inédites, foncez chez Yorozu. Il faut réserver d’avance, il faut parler japonais ou bien être accompagné de quelqu’un qui parle cette langue, c’est impératif, et avoir deux heures devant soi. Ensuite, vous vous laissez faire et Suguru Tokubuchi vous fera déguster des associations de thé et de divers alcools, préparations concoctées devant vous, dans un cadre intimiste qui rend encore plus précieuse chaque gorgée, chaque bouchée choisie pour accompagner l’un ou l’autre des cocktails. Un moment unique.
Au Japon, des agriculteurs biologiques de père en fils
Je vous présente Kitano Shuichi. Il est l’un des fermiers les plus attachants et passionnés par la culture biologique que j’ai rencontrés au Japon. Depuis 30 ans il pratique ce type d’agriculture, initié par son père. Celui-ci, convaincu des bienfaits du thé « bio » sur la santé a souffert sur un plan économique pendant 10 ans, du fait de rendements très bas, mais il a tenu bon. Aujourd’hui il vend très bien son thé car la demande pour le thé bio est devenue plus élevée. Kitano Shuichi et son père fabriquent leur compost eux-mêmes lorsque d’autres fermiers l’achètent à l’extérieur. Mais surtout, et ça n’est pas banal : ils refusent que quoi que ce soit d’animal entre dans la composition de leur compost. Exit la bouse de vache, par exemple. Ils croient en la bio-dynamie et la pratiquent avec succès. Ils sont si fiers de leur compost qu’ils insistent pour vous le faire goûter. En revanche, pour en connaître la recette exacte, vous aurez beau insister, ils ne dévoileront rien sinon, à travers leur sourire, une joyeuse humeur.
À chacun son printemps
A celles et ceux qui souhaitent découvrir les thés de printemps, voici mes conseils. Les Darjeeling récoltés en mars et avril développent des notes florales soutenues qui vont de pair avec une certaine astringence et une pointe d’amertume. Pour des parfums plus briochés et floraux à la fois, rendez-vous avec les thés du Népal de printemps, ils sont récoltés dès le début du mois d’avril. Aux amateurs de notes de châtaigne, de notes à la fois minérales et végétales, je ne saurais que trop conseiller les thés de Chine primeur (les plus rares d’entre eux et aussi les plus recherchés et donc les plus chers étant ce qu’on appelle les pre Qing Ming, récoltés avant la fête des lumières qui a lieu tout début avril). Enfin, pour les amoureux des notes iodées, des notes de gazon coupé et de légume à la vapeur, les Ichibancha du Japon sont de pures merveilles. Ils sont récoltés entre fin-avril et mi-mai. Bien sûr je ne suis pas ici exhaustif, il reste d’autres pays à découvrir mais si on parle de printemps, de nature qui s’éveille, si on recherche des thés qui évoquent le jardin, la sève, ce sont à ces thés là que l’on pense en premier.